Des centres d’arbitrage encouragent une nouvelle synergie juridique sino-africaine par Sudeshna Sarkar
Reportages d’Afrique
Une Ceinture et une Règlementation
Des centres d’arbitrage encouragent une nouvelle synergie juridique sino-africaine par Sudeshna Sarkar
Les différends [entre la Chine et l’Afrique] vont maintenant être résolus par des institutions qui représentent la Chine et l’Afrique et par des arbitres de Chine et d’Afrique.
Michael David Kuper, président de la Fondation d’arbitrage d’Afrique australe
LAWRENCE Muiruri Ngugi, PDG du Centre
d’arbitrage international de Nairobi (CAlN), décrit, devant une carte déroulée devant lui, certains des plus grands projets d’infrastructure de la capitale kenyane : un oléoduc géant, une autoroute et une voie ferrée à écart standard. ? Les infrastructures sont le soubassement de l’économie africaine ?, ditil. ? L’Afrique construit maintenant des aéroports, des voies ferrées, des stades, des ponts et des ports. La Chine n’a pas été oubliée dans le développement de ces infrastructures. ?
Rien qu’au Kenya, plus de 50 sociétés chinoises sont impliquées dans des projets allant d’un parc d’énergie solaire dans le nord du pays à la construction de trois quais à Port Lamu dans l’océan Indien. Tout comme la voie ferrée qui relie Mombasa à la frontière ougandaise.
L’impulsion donnée aux infrastructures résulte de trois facteurs. En 2013, le Président Xi Jinping a annoncé le lancement de l’initiative ? une Ceinture et une Route ?. En 2015, l’Union africaine a lancé l’Agenda 2063, un projet visant à resserrer les liens entre les 54 états membres par les infrastructures. La même année, lors du Sommet de Johannesburg du Forum sur la Coopération sino-africaine, le Président chinois a proposé 10 plans de coopération pour 2016-2018, dont un plan spécifique sino-africain visant à aider l’Afrique à concevoir, construire, exploiter et maintenir des projets d’infrastructure.
La Chine est le premier partenaire commercial de l’Afrique, devan?ant les états-Unis en 2009. Si les relations prennent de l’essor, les différends commerciaux sont inévitables. Comme les dossiers dans les tribunaux en Chine et en Afrique connaissent des retards, les centres d’arbitrage ont commencé à traiter ces différends commerciaux avant que les autorités africaines et chinoises n’établissent les Centres d’arbitrage sino-africains (CASA).
? Les CASA ont pour objectif de créer une famille arbitrale de Chine et d’Afrique pour résoudre les différends entre chinois et africains dans les affaires, la construction, le commerce et les investissements dans une atmosphère de famille unie ?, explique Michael David Kuper, président de la Fondation d’arbitrage d’Afrique australe basée à Johannesburg. ? Les CASA ont été approuvés par les dirigeants africains et chinois. Ils y ont vu un véhicule approprié pour la résolution des différends qui peuvent survenir entre la Chine et l’Afrique. Au c?ur de cette vision, se trouve le fait que ces litiges vont maintenant être résolus par des institutions qui représentent la Chine et l’Afrique et par des arbitres de Chine et d’Afrique. ?
Les premiers CASA ont été ouverts simultanément à Shanghai et à Johannesburg en novembre 2015, nommant chacun 20 de leurs meilleurs arbitres pour former un panel mixte. Quelques jours plus tard, un troisième centre a été ouvert à Shenzhen, qui possède une forte concentration d’entreprises africaines.
Le 27 mars 2017, deux centres à Beijing et à Nairobi ont été ouverts. Une conférence d’arbitrage sino-africaine se tiendra par ailleurs à Johannesburg fin 2017. ? Les CASA sont une bonne fa?on d’accro?tre la coopération juridique ?, explique Gu Zhaomin, directeur général du département international de la Société juridique de Chine, qui regroupe des professionnels du secteur. ? Cela souligne la fraternité entre la Chine et les pays africains ; leur co?t est faible et leur efficacité est grande. De plus, ils sont composés uniquement d’arbitres chinois et africains. ?
Par le passé, les litiges commerciaux interna-tionaux étaient portés généralement devant des tribunaux européens. ? Il y a eu des plaintes disant que cela prenait trop de temps et co?tait trop cher ?, explique M. Gu. ? Les gens ont donc commencé à se demander s’il ne fallait pas faire l’arbitrage en Afrique ou en Chine. C’est plus pratique et les arbitres des CASA connaissent mieux leurs cultures et systèmes juridiques respectifs. Par ailleurs, la Chine et l’Afrique se focalisent sur le développement. Donc même quand les différends sont résolus, ils peuvent rester bons amis et partenaires. La culture est à la base de la résolution des litiges. Tels sont les avantages des CASA. ?
(De gauche à droite) Lawrence Muiruri Ngugi, PDG du Centre d’arbitrage international de Nairobi (CAIN), et K. Igeria, président du CAIN de Nairobi, lors de la cérémonie de lancement à Beijing des Centres d’arbitrage sinoafricain (CASA) de Beijing et de Nairobi, le 27 mars dernier.
L’Afrique, remarque M. Kuper, ce n’est pas un pays unique, mais bien 54 avec des différences dans les infrastructures, les philosophies, la gouvernance et les réglementations.
? Quand les entreprises décident d’aller à l’étranger et d’y développer de nouveaux projets, il est impératif que cela se fasse sur la base de la connaissance du nouveau marché, du nouveau système légal, de la communauté et de l’environnement des affaires. L’ignorance engendre des surprises car elle ne vous permet pas d’évaluer les risques juridiques correctement ?, explique-t-il.
En Afrique du Sud, par exemple, les syndicats et les lois du travail ont un r?le important, sans lesquels il n’y a ni embauche ni licenciement. Par ailleurs, les projets doivent créer des ? véhicules spéciaux ? au bénéfice des populations locales défavorisées.
Selon lui, les CASA offrent une protection et des informations à ceux qui veulent créer une entreprise en Afrique du Sud, au Kenya ou dans les pays voisins. ? Les bases de données des CASA contiendront des informations pour évaluer les risques juridiques et contacter les professionnels du droit en Afrique. Tels sont les mécanismes qui vous permettront de venir en Afrique en toute connaissance de cause. ?
Les CASA seront créés dans des villes africaines et chinoises et un seul type de règlement sera établi pour tous les centres afin d’accélérer les arbitrages. La coopération juridique va d’ailleurs plus loin que l’arbitrage simple. ? L’objectif fondamental est de mieux encourager la compréhension de la culture juridique en Chine et dans les pays africains. Il s’agit aussi de promouvoir la coopération pratique entre les forums juridiques, les facultés de droit, les institutions de recherche juridique et les tribunaux ainsi que les systèmes administratifs juridiques. C’est un schéma complet ?, a déclaré M. Gu.
La Société juridique de Chine coordonne l’établissement de centres de recherche juridique et de formation conjoints en Afrique entre les facultés de droit chinoises et africaines. C’est ce qu’ont fait en janvier à Nairobi la Faculté des études juridiques de l’Université des études internationale du Guangdong et la Faculté de droit de Strathmore de Nairobi. Selon M. Gu, le Cameroun, l’Afrique du Sud et la Tanzanie feront de même. ? La Chine fait plus de commerce et d’investissements avec les pays étrangers. La coopération juridique est ainsi nécessaire pour coordonner les différents systèmes juridiques, et promouvoir et protéger la coopération économique. ?
Les transformations sur le marché international rendent cela impératif. ? Les cadres juridiques ou les conventions en vigueur peuvent ne pas évoluer avec la tendance ?, a souligné M. Gu. ? Beaucoup de pays africains n’étaient pas indépendants quand les traités et les cadres juridiques ont été rédigés. Dans ces cadres, les intérêts des pays en développement peuvent ne pas être bien garantis. Il est important que leurs professionnels du droit se regroupent pour protéger leurs intérêts de développement. ? CA
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