Point de vue
Grave, mais pas désespéré
Jeremy Stevens
Les agences de notation mondiales ont perdu patience et dégradé la note de l’Afrique du sud pour donner à sa dette le statut de ? haut risque ?. Plus précisément, standards & Poor’s a fait passer la cote des engagements à long terme en devises de BB+ à BBB-, et la cote des engagements libellés en monnaie locale de BBB à BBB-, alors que pour le court terme, la cote des engagements en devises passe de A-3 à B et celle des engagements en monnaie locale de A-2 à A-3. Quelques jours plus tard, Fitch a modifié ses perspectives pour l’Afrique du sud, de stables à négatives, et dégradé la cote des engagements en devises et en monnaie locale de BB+ à BBB-.Jeremy Stevens,économiste pour le groupe standard Bank, estime que la dégradation de la cote de l’Afrique du sud suscite à la fois des incertitudes et des opportunités.
APRèSla dégradation de la note de l’Afrique du Sud par deux agences de notation, la question est de savoir quel en sera l’impact sur son économie. La question est importante car l’Afrique du Sud est l’une des plus grandes économies d’Afrique, contribuant à un cinquième du PIB de l’Afrique subsaharienne. Et plus d’un cinquième du stock des investissements directs étrangers (lDE) d’Afrique y sont concentrés. L’Afrique du Sud est le premier partenaire commercial de la Chine et le plus grand marché de marchandises en Afrique, absorbant 15 % de toutes les exportations chinoises sur le continent en 2016.
La décision d’abaisser la notation a suivi le remaniement ministériel, effectué le 31 mars par le Président sud-africain Jacob Zuma. ll concerne 10 des 35 ministres, dont l’énergie, l’Intérieur et le Tourisme. Cinq ministres ont perdu leur poste et cinq autres ont re?u un nouveau portefeuille. Ce qui a servi d’alerte, c’est le renvoi du ministre des Finances, Pravin Gordhan, remplacé par Malusi Gigaba. Le premier était considéré comme compétent, le fer de lance de la mise en place des politiques économiques visant à débloquer les contraintes structurelles du pays pour la croissance.
Cette dégradation de la notation suggère à tout le moins que Standard & Poor’s estime que la possibilité de progresser existe dans le traitement de certains dossiers, notamment la finalisation des réformes du travail et du secteur minier, l’adoption de mesures plus agressives de consolidation budgétaire qui devaient stabiliser la dette publique plus rapidement. De plus, le maintien au sens large d’une stabilité politique et institutionnelle et d’une continuité dans la politique macroéconomique s’est réduit.
Elle assume tout au plus et de manière forte, qu’il n’y aura pas de marche arrière dans le remaniement ministériel et que les nouvelles nominations au Trésor vont laisser les dépenses budgétaires filer, notamment pour soutenir davantage les entreprises d’état en général et Eskom en particulier, sans que leur gestion ne soit améliorée. Elle assume aussi que la politique budgétaire sera de plus en plus préjudiciable à la croissance.
"Comme partout en Afrique, les investissements et le commerce chinois ont joué un r?le crucial pour soutenir la croissance économique et le développement des infrastructures en Afrique du Sud. De ces incertitudes, des opportunités vont na?tre, et nous prévoyons que les entreprises chinoises seront prêtes à y participer.
Jeremy Stevens, économiste pour le groupe Standard Bank
Pour être honnête, la dégradation en elle-même était dans les tuyaux depuis quelque temps. Pour Standard & Poor’s, l’économie sud-africaine avait déjà une cote inférieure en 2016, sur la seule base de la croissance et des anticipations de croissance. La cote de crédit nécessite un différentiel de 1 point entre le taux de croissance de la population et la croissance du PlB, ce qui signifie qu’avec une croissance de la population de 1,6 %, le taux de croissance du PIB doit être de 2,6 %. Le taux de croissance du PIB sud-africain a cependant baissé pour atteindre annuellement 1,7 % en moyenne au cours de ces trois dernières années, et n’a été que de 0,12 % l’an passé. Ce qui est inférieur à la tendance moyenne sur 10 ans, jusqu’en 2013, de 3,5 %. Cela est inquiétant quand les années précédant lacrise financière mondiale de 2008 avaient vu l’économie cro?tre de 4 à 5 %, ce qui semble maintenant un passé lointain.
Les agences de notation comprennent cependant bien qu’une dégradation rend des résultats positifs encore moins probables, et tant qu’elles croyaient que l’Afrique du Sud allait dans la bonne direction et atteindrait un taux de croissance de 2,6 % d’ici à 2020, elles envoyaient un message : elles pourraient attendre avant d’appuyer sur la gachette. C’est là le n?ud du problème : la continuité dans les politiques était ce qui comptait le plus. Le remaniement ministériel est per?u comme une attaque contre le Trésor et laisse entrevoir le spectre d’une érosion de l’hégémonie du Congrès national africain (CNA) dans le paysage politique sud-africain.
Il est juste de dire que les conséquences futures de la décision du Président peuvent être graves : l’indépendance et la stabilité du Trésor seront une préoccupation croissante, avec des implications budgétaires et économiques. Si le CNA ne réussit pas à résoudre les tensions profondes que la décision présidentielle a suscitées, il va très probablement se scinder, et perdre la majorité dans le pays. Les agences de notation se sont inquiétées dès les premières décisions, qui détournent les décisionnaires politiques de la mise en ?uvre de mesures politiques nécessaires pour débloquer les contraintes structurelles de l’Afrique du Sud, a fin que le pays retrouve sa croissance de juin 2016. L’analyse de Standard & Poor’s en décembre a mis l’accent sur cette politique.
Cette notation à ? haut risque ? va voir l’Afrique du Sud quitter certains des indices globaux les plus couramment utilisés et forcer les fonds internationaux, qui sont dans l’interdiction de détenir des titres de moins bonne qualité, à vendre. Cette décision va certainement entra?ner une hausse du co?t de la dette, ce qui signi fie moins de liquidités pour des services cruciaux comme le logement, l’éducation et les systèmes sanitaires, générant davantage de manifestations dans tout le pays.
Revenons à la question de savoir quel sera l’impact de cet abaissement de la note sur l’économie. Si l’on regarde les pays qui ont connu une dégradation de leur note au cours de la dernière décennie– le Brésil, la Bulgarie, la Croatie, la Hongrie, la Roumanie et la Russie – l’analyse des variables économiques et du marché avant et après, peut fournir des éclaircissements sur ce qui peut arriver.
L’histoire confirme les soup?ons, à savoir que le chemin sera difficile. Une année après la dégradation de leur notation, ces économies ont connu une croissance moyenne de -2,33 % car toutes– à exception de la Bulgarie – étaient en récession. Même avant la dégradation, le Fonds monétaire international avait prévu que l’économie sud-africaine allait cro?tre de 0,7 % seulement en 2017, avec une croissance moyenne d’environ 2 % les trois années suivantes. Maintenant, l’Afrique du Sud va s?rement entrer en récession.
Ce qui est encourageant, c’est qu’un rebond survient relativement rapidement : deux ans après, la plupart des économies ont renoué avec la croissance positive et au bout de trois ans, elles enregistraient une croissance juste au-dessus de 2 %, un taux qu’elles ont maintenu les trois années suivantes. Le problème cependant, c’est qu’aucune de ces économies n’a pu enregistrer des taux de croissance similaires à ceux qu’elles affichaient avant la dégradation. Ainsi, même si le pire sera déjà passé en Afrique du Sud d’ici à 2019, le type de croissance que le pays nécessite pour lutter contre la pauvreté et le ch?mage sera très difficile à atteindre.
L’histoire montre aussi que le marché sait relativement bien ? pricer ? avant que la dégradation ne survienne. Il est intéressant de constater que le risque est au plus haut dans la période de dégradation de la notation avant qu’il ne commence à s’améliorer. Comme il existe des incertitudes quant à la politique budgétaire sud-africaine et au climat politique interne, il est raisonnable de croire que le risque-crédit va probablement s’élever, à environ 50 points de base, ce qui signifie que les écarts de rendement sur les swaps de défaillance sont de 250 à 300 points de base.
La faiblesse de la monnaie est cruciale dans la décision de la dégradation de la notation. Le taux dollar américain/rand sud-africain a suivi ce chemin, chutant de 7,50 à 16,85, plus bas niveau historique, en janvier 2016. Il est vrai que le taux s’est raffermi depuis, en remontant à 12,46 en mars 2017, grace à une appétence générale pour les placements risqués. Bien s?r, après l’annonce de l’abaissement de la note, le rand a baissé. Maintenant, même si traditionnellement la stabilité revient après l’abaissement, nous nous attendons à davantage de faiblesse, principalement en raison de la vente potentielle d’obligations locales (et d’actions) de la part des étrangers. Il est vrai que JP Morgan a récemment retiré l’Afrique du Sud de l’indice. Ainsi, on peut s’attendre à ce que le taux faiblisse, probablement à 14,50. Heureusement, la dégradation survient à une période où les conditions mondiales sont plus favorables aux marchés émergents en général. Une monnaie plus faible signi fie que l’in flation devrait remonter, que les taux d’intérêts devraient remonter, tout comme les taux réels. La demande intérieure devrait en patir à un moment où l’économie ne peut pas nécessairement se le permettre. Par ailleurs, la con fiance et l’optimisme en prendront un coup, empêchant la reprise cyclique et freinant la croissance.
Vu les incertitudes croissantes, on ne peut s’étonner de voir le pessimisme prendre le dessus à l’égard de l’Afrique du Sud. Comme l’a dit le Président chinois Xi Jinping à Davos au début de l’année, ? nous ne devons pas prendre l’habitude de rentrer au port quand la tempête se lève, car cela ne nous conduira jamais sur l’autre rive de l’océan ?. Certes, nous pouvons trouver un certain optimisme dans nos conversations avec les entreprises, les investisseurs et les entrepreneurs chinois qui ont développé des relations et une connaissance locales profondes, et se sont montrés d’une souplesse incroyable. Alors que d’autres ont continué de penser l’Afrique en termes de clichés et de généralisations, la Chine a tranquillement tissé des relations diplomatiques et commerciales fortes avec les pays africains depuis le début du XXIesiècle. Comme partout sur le continent, les investissements et le commerce chinois ont joué un r?le crucial pour soutenir la croissance économique et le développement des infrastructures en Afrique du Sud. De ces incertitudes, des opportunités vont na?tre, et nous anticipons que les entreprises chinoises seront prêtes à y participer. CA